Eléonore Détaint : La puissance de l’intelligence collective  

Je suis ravie de vous retrouver pour un nouvel échanges avec un.e expert.e : cette fois-ci c’est Eléonore Détaint qui a accepté de répondre à mes questions. Eléonore est entrepreneure depuis 20 ans et son expérience est une vraie source d’inspiration pour moi. Après chaque échange avec Eléonore, je me sens comme après avoir assisté à une conférence, tant elle me transmet par ses connaissances, ses analyses et sa sagesse. J’ai ainsi souhaité interroger Eléonore sur le sujet de l’intelligence collective puisqu’elle en est une fervente pratiquante depuis des années.

1/ Peux-tu te présenter et présenter ton activité ?

Bonjour !
Je suis Eléonore Détaint, j’entreprends depuis 20 ans dans les domaines de la culture, la formation et le conseil.
De manager d’artistes à productrice transmédia, j’ai monté une SCOP, développé une filiale de start-up en Angleterre, monté un tiers-lieu… Je suis aujourd’hui formatrice et consultante en dynamiques humaines et relationnelles, et suis par ailleurs engagée dans différents projets associatifs qui me passionnent : je pilote le programme de mentorat des Entrepreneures Bienveillantes, je développe un incubateur et réseau d’entrepreneurs dans les Landes, et suis membre de l’équipe cœur d’Eklore (mouvement œuvrant pour plus d’humanité au travail).
J’ai un parcours fondamentalement lié à l’accompagnement, à la création et aux dynamiques relationnelles. Un parcours hybride qui illustre mon appétence pour le croisement des approches et des disciplines, qui constitue un formidable terreau pour innover, pour cultiver un regard curieux, créatif.

2/ Quand as-tu commencé à t’intéresser à l’intelligence collective ?

En travaillant dans les industries culturelles sur des projets innovants qui mobilisaient des acteurs très éclectiques venant de pays et de cultures différents. Comment faire pour produire et financer des œuvres hybrides que personne n’avait encore réalisées, destinées à un marché encore émergent ? Dans un tel contexte, l’écoute et de la compréhension des points de vue et besoins de chacun, la capacité à avancer de manière agile avec beaucoup de remises en question sont indispensables à la survie du projet.
Je crois que c’est vraiment mon rôle de cheffe d’entreprise qui m’a permis de développer cette fibre collective. C’est une aventure unique, qui nous met face à une responsabilité nouvelle, celle de l’acteur social en création et que nous avons envie d’incarner. Quelles sont les valeurs et le sens à partir desquels j’ai envie de bâtir un projet collectif ? Le choix de la SCOP est venu de ces réflexions et d’une envie d’inscrire dans l’adn même de notre structure cette volonté d’aller vers une organisation humainement responsable et désirable.

3/ Quels sont les avantages de l’intelligence collective en entreprise selon toi ?

L’intelligence collective permet de fédérer autour de valeurs communes, de révéler les individus, leur permettre de trouver leur place et s’épanouir au sein du collectif, mettre le sens et l’humain au cœur des organisations, des équipes. C’est ce qui rend les organisations vivantes et fertiles, qui permet d’allier bien-être individuel et performance collective.
C’est selon moi l’évolution indispensable pour continuer à avancer dans un contexte VUCA, et participer à la transformation du monde du travail qui est en train d’éclore.

J’aime me représenter cela sous la forme de cercles concentriques interdépendants :
– Au centre il y a « Moi » : l’individu, avec ses singularités, ses valeurs, ses rêves, sa carte de représentation du monde
– Ensuite il y a « Moi et les autres » : comment j’interagis avec les autres, quelles dynamiques relationnelles sont à l’œuvre
– Et puis il y a « Nous » : comment je passe du Je au Je+Toi au Nous générateur d’innovation, d’entraide, de performance, comment je crée le collectif, le sentiment d’appartenance, l’envie de nous mettre en mouvement pour atteindre des objectifs communs, en adhérant à une vision partagée.

L’intelligence collective permet de naviguer entre ces différents cercles de manière fluide et équilibrée. Le collectif ne va pas étouffer les individus, et l’ego individuel ne va pas prendre le dessus sur le collectif.
Cela suppose une adaptabilité forte, une écoute et une capacité réflexive permanente.
Cela suppose la prise en compte des individus dans leur singularité, d’accepter les différences et divergences d’idées, de lâcher prise sur ce que je pense être la bonne solution pour m’ouvrir à ce qui n’est pas encore, ce qui est en émergence.
Cela suppose de se former, d’expérimenter ce qui convient à chaque équipe, selon son contexte, son organisation, son mode de gouvernance.
La bonne nouvelle c’est que ça s’apprend ! Et qu’on peut commencer pas à pas, expérimenter quel que soit son rôle ou sa fonction. Petit à petit insuffler une culture de la collaboration, du coopératif au sein des entreprises. C’est un enjeu de santé publique tout autant que de performance économique. Favoriser le bien- être des collaborateurs, leur implication en redonnant du sens au travail et à la mission collective de l’entreprise. Considérer l’entreprise comme un organisme vivant, un système complexe capable de s’adapter, d’évoluer en prenant soin de chacune de ses parties.

4/ Comment pratiques-tu l’intelligence collective ? Sous quelles formes ? As-tu des outils fétiches ?

Ce que j’adore, c’est accompagner les collectifs vers la construction de nouveaux récits qui favorisent l’émergence d’une culture commune, dans laquelle chacun peut trouver sa place, se relier aux autres et s’engager dans un projet qui a du sens.

En fonction des besoins des équipes, nous établissons ensemble un diagnostic pour identifier collectivement ce qui fonctionne et ce qui peut être amélioré, et ensuite nous co-construisons un plan d’action adapté. Celui-ci peut inclure des temps de construction collective, de la formation, ou une réorganisation plus profonde du système de gouvernance et d’organisation du travail.

Je commence généralement par une acculturation à la CNV ou une sensibilisation à l’écoute (quelles sont nos habitudes d’écoute qui peuvent entraver une communication efficace et sereine ? Quels sont les différents niveaux d’écoute et où je me situe en tant que collectif de travail). Commencer par savoir se parler, s’écouter, clarifier nos intentions c’est pour moi un préalable indispensable à des relations d’équipe qui fonctionnent, à la création d’un climat de confiance.

J’aime aussi mettre en place des groupes mastermind ou de co-développement au sein des entreprises, afin de sensibiliser aux pratiques d’intelligence collective en faisant vivre une autre forme de collaboration dont les effets positifs se font sentir immédiatement. Cela permet de stimuler l’entraide, de créer des liens authentiques, de débloquer des problématiques et d’oser s’aventurer vers des voies que nous empruntons peu, et qui pourtant élargissent nos champs de compétences, notre vision.

Si je devais citer les approches qui me sont chères je parlerais de Communication NonViolente, des Pratiques Narratives, de la Théorie U, du human-centered design, de la sociocratie… Elles ont en commun une profonde humanité, une humilité, et concourent à l’affirmation de soi qui favorise en même temps le développement de collectifs féconds.

5/ Peux-tu nous partager quelques tips / astuces pour commencer à pratiquer l’intelligence collective ?

Se former, apprendre, expérimenter, ajuster, réajuster. Et avant tout comme je le disais précédemment, apprendre à se connaître (soi et les autres), changer de regard sur ses pratiques habituelles et les présupposés que l’on peut avoir sur ses collaborateurs, ses managers. S’ouvrir à une forme d’écoute et d’attention qui donnent aux relations une dimension où la créativité, l’innovation, la confiance sont stimulées.

Un très grand merci Eléonore pour tes réponses ! Alors, avez-vous ressenti vous aussi la sagesse dont je vous parlais ? J’ai déjà identifié quelques phrases clés d’Eléonore dans cet article que je vais garder en tête et diffuser autour de moi 😉